Un regard sur l’Afrique - entretien avec le prof. Mamadou Diouf
L’Afrique pour nous européens se rapporte a trois représentations: l’exotique, les phénomènes migratoires et le dépouillement de ses richesses. Et pourtant il faut aller au delà de cette représentation trop synthétique!
Pour nous occidentaux l’Afrique est un continent dont on a pas encore acquis une vraie connaissance. De temps en temps il nous arrive des nouvelles, mais on oublie aussi vite. Comme elle encore mystérieuse pour nous occidentaux l’Afrique! On est resté aux temps quand ce continent était défini "hic sunt leones". C’est à dire "içi il-y-a des lions"...
Et pourtant l’Afrique est une terre d’espoir. Dans quel sense? En Afrique, continent jeune et dynamique, quelque chose de très important bouge. On a le sentiment que beaucoup des réponses que le monde attend soient en train de se créer en Afrique. Donc, il faut changer notre avis envers ce continent et commencer à penser le continent africain comme le coté sud de l’Europe.
Pour connaitre mieux l’Afrique on a eu un entretien avec le prof. Mamadou Diouf un des plus représentatifs intellectuels africains. Voici une brève note biographique du prof. Diouf.
Mamadou Diouf est un historien sénégalais qui vit actuellement aux États-Unis. Auteur d’une thèse de 3e cycle consacrée au Royaume de Cayor, soutenue à l’université de Paris I en 1980, il est d’abord enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop, où il dirige le département de recherche et de documentation du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA) de 1991 à 1999, date à laquelle il s’installe aux États-Unis. Il enseigne alors à l’université du Michigan et participe aux travaux du Centre d’études africaines et afro-américaines. Le 1er juillet 2007 il prend la tête de l’Institut d’études africaines à l’École des affaires internationales et publiques (School of International and Public Affairs) de l’université Columbia à New York.
Qu’est-ce que c’est l’Afrique aujourd’hui ?
"L’Afrique est un continent qui s’inscrit dans le temps du monde et de la globalisation, avec des réussites extraordinaires dans les domaines des arts, de la culture et du sport et des échecs retentissants dans les domaines de la santé et de l’emploi des jeunes et de la réussite économique et surtout dans la quête d’une stabilitépolitique et d’une bonne gouvernance seules capables de la mettre sur les rails du développement, de la paix et de la justice sociale. Une situation qui constitue la raison pour laquelle les jeunes africains sont résolus à quitter l’Afrique et à défier la mort, dans l’Atlantique, la Méditerranée et le désert du Sahara, pour un avenir rêvé meilleur ailleurs, en Occident. Des aventures qui souvent tournent au cauchemar. L’Afrique c’est aussi le réveil des sociétés civiles qui tentent courageusement d’établir une gouvernance vertueuse, des démocraties stables et participatives et des économies compétitives dans un contexte mondial défavorables. En quelque sorte, l’Afrique emprunte plusieurs directions en même temps avec des résultats positifs, d’autres négatifs. Elle bouge. Et c’est l’essentiel."
Comment un africain qui vit au dehors de son continent voie l’Afrique ?
"L’Afrique est aujourd’hui imaginée par les africains à l’intérieur du continent, les diasporas africaines dans plusieurs recoins du monde, diasporas anciennes ou nouvelles et par les non-Africains qui s’intéressent au contient, aux plans, économique, politique, sociale et culturelle (intellectuel et esthétique). Elle prend des couleurs différentes, visuelles, sonores et/ou plastiques. Elle est rêvée ou rejetée mais elle est aujourd’hui présente dans les moindres recoins du monde. Personnellement, elle reste la référenceessentielle de ma vie.Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication et la réduction des distances géographiques par les moyens de communication, elle est, pour moi, l’objet d’un engagement quotidien."
Quelle est la perception de l’Afrique de la part des américains ?
"En Amérique, la perception de l’Afrique est différente selon la race et les classes sociales. Mais, de manière générale l’Afrique reste une grande inconnue en Amérique, même si tout le monde a une idée de ce que l’Afrique est. On entendra souvent les gens dire, je ne connais rien du Japon mais de l’Afrique, on a toujours une idée, une anecdote. Pour les Américains l’Afrique n’est pas encore tout à fait un enjeu géopolitique pour être l’objet d’une attention des media, de la classe politique ou de l’opinion publique, même si la recherche d’un désengagement du Moyen Orient en termes de fournitures de pétrole et les activités des djihadistes, en Afrique du Nord et dans le Sahara, repositionnent fortement l’Afrique sur la scène américaine. Dans ces circonstances, elle continue à apparaître dans les nouvelles au moment des crises politiques et militaires ou des catastrophes, naturelles ou sanitaires (HIV/AIDS ou Ebola). En revanche, certains Africain-américains, pour des raisons historiques ont parfois une bonne connaissance d certains régions africaines, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud."
Les américains ont conscience du fait qu’une partie important de leur « Background » est d’origine africaine ?
"Les africains américains ont bien sûr une claire conscience de leur origine africaine et de toute façon ils sont toujours renvoyés à cette origine qui leur affecte, le badge de l’infériorité et justifie le racisme et la discrimination. Leur origine africaine en fait une « minorité visible ». Leur engagement pour l’Afrique, aussi bien la reconstruction de son histoire pour afficher la contribution de l’Afrique à la condition humaine et leur défense des droits des africains sous domination coloniale, suite à la première guerre mondiale, ne signifie nullement un « back to Africamovement ». Ils sont américains ;: d’origine africaine. L’Afrique peut être lointaine ou proche, la proximité ou l’éloignement influence l’intensité de l’engagement politique, économique, culturel ou social."
Comment vous présentez à vos élèves le long des leçons l’Afrique et ses problèmes ?
"Je suis un historien et e dont je me préoccupe le plus c’est de reconstruire la trajectoire des sociétés africaines et les récits qu’elles produisent sur elles-mêmes et qui sont produites par les autres depuis les voyageurs arabes, les explorateurs européens, les missionnaires, les administrateurs coloniaux, les entrepreneurs, jusqu’aux journalistes. Je ne suis pas intéressé à redresser les images et les représentations erronées de l’Afrique mais d’expliquer le processus de leur production et leur fonction. Mon objectif premier : apprendre à mes étudiants à approcher l’Afrique de façon documenté et surtout critique."
Est-elle l’Afrique encore en pleine période « postcoloniale » ?
"Bien sûr si la période postcoloniale est ce qui suit la clôture de la période coloniale, la fin des empires et le démantèlement de l’apartheid en 1994. A l’échelle de l’histoire c’est une très courte séquence. Les effets de la domination coloniale, de l’exploitation économique et de l’aliénation culturelle se font toujours sentir."
Quel est l’état de la démocratie en Afrique ? On est en train d’assister à des crises ayant comme objet la prolongement des mandats présidentiels.
"Oui le chemin parcouru depuis les indépendances, les transitions démocratiques (les années 1980) et l’intensification des mouvements sociaux (les années 1990) était parsemé d’embuches mais les succès ont été nombreux. L’étau de l’autoritarisme et des répressions sanglantes a été desserrée même si certains pays sont à la traine. C’est par exemple le cas de pays où les présidents tentent de prolonger leur mandat. Leur nombre est très limité. Mieux, dans certains pays, le président a été chassé du pouvoir (Burkina Faso) et dans d’autres pays, il a été défait (Sénégal). On doit aussi signaler que les alternances démocratiques, le passage d’un régime à un autre commence à devenir une routine. Le Sénégal en est à sa deuxième alternance tout comme le Niger,la Mauritanie, la Côte d’Ivoire, le Kenya…le Mali à sa troisième …et la Gambie à sa première. Par contre dans d’autres pays comme le Gabon, le Togo, le Burundi … on assiste à des ratés."
Quel est l’impact des structures traditionnelles de la société dans le processus démocratique en Afrique ?
"Elles pèsent lourdement dans le processus à cause du poids des règles de génération et de genre qui attribuent aux plus âgés et aux hommes, le privilège exclusif de décider pour l’ensemble de la communauté. Le peu de poids de l’individu affecte très fortement la règle politique démocratique."
Vous avez toujours attaché grande importance au rôle de la jeunesse africaine, pourquoi ?
"Parce qu’elle représente la majorité de la population. En effet, environ 65% de la population a moins de 25 ans."
En quoi l’Europe se trompe par rapport à l’Afrique ?
"Je ne comprends pas très bien votre question. En quoi cette question est-elle pertinente par rapport au futur de l’Afrique. En tout cas ce n’est pas une question qui me traverse l’esprit. Ce que l’Europe pense de l’Afrique m’importe peu. Par contre le futur de l’Europe devra nécessairement tenir compte de l’Afrique ; elle n’arrive pas a renouveler sa population par la croissance naturelle et elle vieillit alors que l’Afrique comme disent les économistes a une forte dividende démographique, une population prête s’installer ailleurs. Les européens auront besoin de cette main d ‘œuvre. Ce qui m’intéresse ‘est ce que les Africains veulent faire de leur continent."
L’Afrique est en train de faire face au terrorisme dijhadiste. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
"L’Afrique est dans le monde et il existe en Afrique d’importantes communautés musulmanes. En conséquence, le continent ne peut échapper à l’une des manifestations les plus importantes de la globalisation, le réveil islamique, l’Islam radical et violent. Grâce à l’hégémonie de l’Islam Sufi, plu tolérant, en Afrique, le continent résiste victorieusement, pour le moment à l’inoffensive islamiste ; mais pas partout."
Au cours d’un sommet en Afrique du Sud il a été révélé que l’Afrique possède 500 milliards de dollars prêts à être dépensés, mais on ne sait pas comment. Comment s’en sortir ?
"Je ne suis pas au courant de cela. Je ne peux pas répondre directement. Par contre ce que je peux dire est que les besoins en infrastructures, en éducation et en santé sont tels que je ne vois pas la difficulté à dépenser de l’argent alors que les besoins sont là et les programmes d’investissement prêts. Ce qui tout aussi sûr est que les gouvernements africains ont accepté de mettre en place toutes les politiques suggérées par le FMI et la Banque mondiale pour attirer des capitaux/investissements privés. Sans succès. C’est le cas par exemple de l’Afrique."
Etes-vous en train d’écrire un nouveau livre ? Quelques anticipations ?
"Je suis en train de travailler sur deux livres, « une » histoire du Sénégal et une étude sur un artiste sénégalais contemporain, Issa Samb."
Etes-vous confiant pour l’avenir de l’Afrique ? Pourquoi nous tous on doit-espérer dans l’Afrique ?
"Bien sûr que je suis confiant et plein d’espoir. L’Afrique émerge lentement mais sûrement des longues nuits, coloniale et postcoloniale. Elle trace sa route dans le bruit et la fureur mais avec assurance."
Fiche sur le prof. Mamadou Diouf prise du site de la Columbia University:
Photo credits:
Les photos de l’interview ont été prises du site de la Columbia University.
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